Bio : Sandra a dédié les 20 années de sa vie professionnelle à la pédagogie et la didactique. De formation scientifique, elle démarre sa carrière directement en Israël où elle apprend à enseigner les maths aux différentes classes d’âge. Cet apprentissage est surtout le théâtre d’un prodigieux breakthrough (perçée) dans la relation aux élèves. Elle obtient ensuite à Lyon une licence en science de l’éducation avant de réussir le concours de professeur d’écoles. Elle enseigne dans des classes de maternelle et élémentaire, en privilégiant les remplacements afin de pouvoir expérimenter différents types de fonctionnement d’écoles. Elle s’intéresse alors aux élèves en grande difficulté scolaire et effectue des remplacements dans le champ du handicap. Elle obtient un diplôme en enseignement spécialisé, s’intéresse à tout ce qui est publié sur le sujet et notamment suit des cours de maitrise de science de l’éducation de l’université de Nantes.
Extraits d’interviews réalisés par Joseph Machiah, novembre 2014.
Mon statut officiel est « Professeur des écoles, spécialisée ». Dans notre jargon, on parle de l’option option F, où il s’agit d’adapter son enseignement à des publics adolescents en très grande difficulté scolaire, non liée à un handicap social.
Mes élèves ne sont donc pas handicapés (handicap tel que reconnu par la MDPH, maison pour le handicap à vérifier). Cependant leurs 7 années d’école maternelle et élémentaire ne leur ont pas permis d’acquérir les compétences de lecteurs requises pour entrer au collège. Le collège (classe de 6ème) leur ouvre toutefois ses portes mais à travers une section d’enseignement général et professionnel adaptée. La mission de leurs enseignants est de les mener à intégrer une formation professionnelle qualifiante, dans la majorité des cas elle consiste en une préparation à un CAP. Que mettre en œuvre pour que ces jeunes arrivent à intégrer la lecture après 7 années d’échec.
Le mot échec est important car il génère chez un adolescent en situation scolaire, soit de la violence, soit de l’apathie. Mon leitmotiv est « appui sur ‘on’, connecte tes neurones ». Quand je leur dit ça, je leur explique la physiologie du cerveau pour leur montrer qu’ils peuvent y arriver, qu’ils sont aussi intelligent que les autres, mais que l’on va trouver d’autres chemins d’apprentissage.
Mon boulot est de faire en sorte qu’ils progressent en tenant compte de chaque profil. Donc si un contrôle est globalement raté, c’est que j’ai mal fait mon boulot. Et ça je le verbalise à ma classe. Et ensemble on recommence.
Des mots clés en vrac : estime de soi, confiance et respect mutuel, honnêteté, projets, compétences, travail d’équipe pour les enseignants, travail de groupe pour les jeunes, différenciation, individualisation, motivation intrinsèque (intrinsèque = pour moi, je sais ce que ça va m’apporter) et ça c’est très important parce que pour un jeune ça amène un défi personnel et donc à être acteur de sa formation.
Je n’ai pas de principes pédagogiques prédéfinis avant d’entrer en classe. J’ai une ligne de conduite, des objectifs, des valeurs humaines et je sais par contre ce que je m’interdis de faire. Ce que je m’interdis de faire (et ça ne veut pas dire que j’y arrive toujours) : de crier, de laisser un gamin avec le regard dans le vide, de laisser un enfant en souffrance intellectuelle (c’est à dire le laisser penser qu’il ne comprendra jamais, le laisser se sentir complètement à coté de la plaque). Quand il est en souffrance (ça se voit car il ne travaille pas, il peut être violent, dissipé, faire des réflexion, ou être totalement passif), je vais le voir et suis amené à trouver d’autres entrées pour qu’il accède au savoir. C’est comme si je suis confronté à un gros rocher dans lequel j’essaye de faire entrer un faisceau de lumière. Il y a toujours un interstice par lequel on va pouvoir s’immiscer. Il faut le trouver. Pour y arriver il faut une bonne dose de sécurité ontologique (savoir que l’on va y arriver et que l’on est légitime). C’est aussi respecter la personne qui est en face de nous et lui permettre d’aller au meilleur de ses capacités (donc sans devenir un tyran). Il s’agit de s’appuyer sur les compétences de l’apprenant, pour reconstruire son estime personnel, et ainsi par la prise de confiance, lui permettre d’appréhender des domaines dans lesquels il s’est trouvé dans l’échec plusieurs années de suite.
Dans les principes pédagogiques il y a aussi le droit à l’erreur, et même s’appuyer sur ses erreurs pour construire du savoir, du savoir être, du savoir faire et des compétences. Je considère la salle de classe comme un grand laboratoire dans lequel je m’autorise les prises de risques en terme de production. Je ne jette rien. Au contraire on fait des liasses des travaux ce qui permet à l’élève de voir, en chemin, d’où il est parti et de prendre conscience de sa progression. L’élève va alors être capable de reproduire son effort plusieurs fois sans se lasser parce qu’il a un objectif conceptualisé « à la fin j’aurais un beau truc ». De plus, à la fin d’une séquence, tout garder permet d’avoir un support pour faire un travail de méta-cognition (savoir comment je m’y prends pour apprendre).
Pour réaliser un tel travail il faut que chaque élève soit pris en charge de manière individuelle. Il ne s’agit pas pour autant de prodiguer des cours individuels. L’enseignant doit donc intégrer dans sa pédagogie la notion de « groupe classe ».
Ceci m’amène autant que possible à mettre en œuvre une pédagogie du projet qui peut être un grand projet filé sur toute l’année sur lequel les différents apprentissages vont se décliner. Je peux aussi créer des mini-projets. Cette approche me permet de faire travailler le groupe sur un même projet en permettant à chacun d’exprimer ses compétences tout en s’appuyant sur les compétences de ses camarades. Petit à petit les enfants comprennent que leur force c’est « le groupe classe » qui se met au service de chaque individualité plutôt que d’avoir un individu qui œuvre pour le groupe. C’est difficile à mettre en œuvre et on a rarement une réussite totale mais néanmoins c’est ce chemin là qui est important. Au delà du savoir technique transmis par l’école on a un savoir citoyen en actes.
Dans la pratique, c’est souvent une question de survie de mettre en œuvre une pédagogie créative et adaptée au public. C’est une histoire une respect. On ne peut plus aujourd’hui mettre un élève entre 4 murs et lui dire moi je sais ce qui est bien pour toi. Et en plus ce n’est pas un mais 30 élèves auquel on est confronté. De nos jours les ado ne se laissent plus manipuler comme il y a un siècle, au temps de l’école communale. Aujourd’hui le collège pour tous jusqu’à 16 ans est un défi. Ce défi doit tenir compte de toutes les individualités et pas seulement d’une élite. Les jeunes sont déjà totalement immergé dans la connaissance par le multimédia et en plus ont pris l’habitude d’être proactif. Ainsi prétendre que ce qu’on va leur enseigner est important ne passe plus par des méthodes classiques.
Il y a aussi le sens du non-effort du fait de l’accès immédiat à internet. Notre rôle d’enseignant est de les convaincre de l’intérêt de l’effort intellectuel, et on peut aller plus loin en parlant d’effort intellectuel aboutit qui est jubilatoire et donc de la notion de plaisir.
J’associe l’individualisation à la transposition didactique. J’explique: la transposition didactique c’est transformer, fractionner, décomposer un savoir d’expert de manière à ce qu’il devienne compréhensible et audible par un novice. Comme chaque novice a déjà son bagage intellectuel, du coup la transmission doit s’adapter à la personne que l’on a en face de nous. Le mot expert a un double sens. Le premier est expert de la discipline enseignée. Le deuxième signifie savoir repérer dans le protagoniste qu’il a en face ce dont ce dernier a besoin pour mettre en place ses connexions. L’individualisation ce n’est pas seulement donner à s’exercer dans son niveau, mais bien utiliser le langage (de la discipline) de transmission adapté.
Je mets la pédagogie de l’erreur en parallèle avec la maïeutique de Socrate. (wikipedia 2014 : La maïeutique, du grec μαιευτικη, par analogie avec le personnage de la mythologie grecque Maïa, qui veillait aux accouchements, est une technique qui consiste à bien interroger une personne pour lui faire exprimer (accoucher) des connaissances.) Communément on pense que la maïeutique consiste à questionner l’apprenant jusqu’à ce qu’il parvienne par lui même à la notion que l’on souhaite lui transmettre. Mais si l’on ne fait que ça on est manipulateur car nos questions induisent les réponses. L’autre façon de considérer la maïeutique: en tant qu’expert de la discipline enseigné, on a répertorié toutes les erreurs possibles habituelles et également les points de blocage. Du coup la maïeutique consiste alors à questionner l’élève mais de manière à le conduire spontanément vers l’erreur ou le blocage. L’élève donc se plante. Mais ensuite il prend conscience de son erreur ou son blocage et là il va mobiliser vraiment ce dont il a besoin pour dépasser l’erreur ou le blocage. A priori cette façon de s’entrainer peut paraître violente et elle l’est si l’enseignant l’utilise sans la conscience de l’élève qu’il s’agit bien d’une méthode d’apprentissage. Le rôle de l’enseignant est aussi de communiquer sur ses méthodes avec ses élèves. Ainsi l’élève ne se sent pas manipulé d’une part, et dans ce cas précis s’autorise à faire des erreurs puisque ça fait partie de la méthode d’apprentissage. Et ça marche.
Il y a énormément aujourd’hui de littérature spécialisée sur la différenciation. Pour résumer on part du principe que dans une classe les élèves ne sont pas tous au même niveau ni tous capable de comprendre le fait enseigné au même degré de complexité. Ainsi sur un même sujet on peut diviser la classe en 2 ou 3 groupes de niveaux homogènes et leur proposer du travail adapté à leurs compétences. On peut aussi utiliser des entrées différentes pour appréhender un même sujet. L’objectif de l’enseignant est toujours d’amener l’apprenant à un degré optimum. Le petit problème que je vois dans la différenciation est que les élèves n’étant pas dupes, ils veulent toujours être dans le niveau le plus dur. Mais ils n’y arrivent pas ce qui les remet en situation d’échec. Ou bien, c’est le contraire, ils choisissent le niveau facile afin de récolter une bonne note sans trop d’effort. Il s’agit donc d’adapter le mode d’évaluation à cette pédagogie.
La zone proximale de développement est un concept développé par Lev Vygotski. (wikipedia 2014: La zone proximale de développement (ZPD), aussi traduit par «zone de proche développement» ou «zone de développement prochain» dans les traductions les plus récentes est un concept issu du travail de Lev Vygotski sur le développement précoce de l’enfant. Cette théorie suggère que les enfants sont aptes à mieux apprendre les problèmes et à s’améliorer davantage autour d’un enfant plus expérimenté, d’un parent ou d’un enseignant, plutôt que d’un enfant à leur niveau cognitif. Cela encourage donc l’apprentissage en milieu scolaire à ce stade de la vie. La zone proximale de développement augmente nettement le potentiel d’un enfant à apprendre plus efficacement). A tout moment on est à un niveau de formation avec des choses que l’on sait faire, que l’on ne sait pas faire et des choses où il manque peu pour y arriver tout seul. C’est comme un bébé qui est presque capable de marcher et que l’on prend par la main pour l’entrainer et l’amener à faire, seul, son premier pas. Le travail du professeur est de repérer pour chacun de ses élèves cette zone « zpd » afin de virtuellement prendre par la main pour conduire à l’état supérieur de compréhension ou de connaissance.
Le rôle du professeur au 21ème siècle n’est pas de professer mais bien de construire un échange et un méta-échange avec chacun de ses élèves pour les aider à acquérir les compétences nécessaires en savoir, savoir-faire et savoir-être.
On pourrait écrire une encyclopédie sur le principe et les moyens de l’évaluation. Aujourd’hui en pédagogie on considère a minima 3 types d’évaluation : l’évaluation diagnostique, formative et normative. Le diagnostique permet de savoir où en sont les élèves pour construire le cours en différenciant. La formative a pour fonction de faire prendre conscience à l’élève de ce qu’il a acquit et ce qui lui reste à acquérir. Il va pouvoir s’appuyer sur ses résultats d’évaluation. La normative permet à l’élève et l’enseignant de se situer par rapport à la norme officielle. Les 3 évaluations sont importantes et doivent tenir leur place dans l’enseignement. La difficulté est de ne pas en faire une usine à gaz qui réduise l’enseignement à une succession d’évaluations. Le moyen que j’ai trouvé pour surmonter cette difficulté est de rendre l’élève acteur de ses évaluations et de lui apprendre à s’auto-évaluer. C’est lui qui demande son évaluation quand il se sent prend prêt. L’enseignant est là pour réguler l’apprentissage, proposer du travail adapté et valider l’acquisition des compétences. L’enseignant est là pour enrôler l’élève dans la tâche et faire survenir sa motivation. Il s’agit de prendre l ‘élève par la main, le guider et l’accompagner tout au long du travail.
Il n’y a évidemment pas de journée type avec mes classes. Je suis en intelligence de situation et permanence avec le projet annuel en fil conducteur. Le thème du projet est souvent en lien avec l’actualité locale, et fait systématiquement intervenir un professionnel d’un champ artistique (photographe, acteur, plasticien, etc). Ces gens ont une approche avec les jeunes qu’il m’arrive parfois de perdre quand je suis trop prise par mon travail d’enseignante. Dernier détail : je m’éclate dans mon boulot et c’est pour cela que ça passe bien. Et pour conclure je dirais que tout ce qui vient d’être dit, ce que je mets en œuvre systématiquement dans une classe « segpa » et bien je ne me verrais pas faire différemment si j’avais à travailler avec une classe ordinaire.