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Le vécu d’une classe préparatoire

[je préfère garder l’anonymat] Etudiante à l’Essec, 21 ans, ai grandi à Paris, 2 frères.

Interview réalisée à Barcelone, août 2014

 

Fin de seconde, entrée en première, il fallait choisir une voie. Moi tout m’intéressait, je n’avais pas de préférence particulière. Compte tenu de mon bon niveau scolaire, mes profs m’ont dit sans hésitation qu’il fallait aller en section S (scientifique). Moi qui aimais les langues, la philo et aussi les maths, je ne me sentais pas trop à ma place en 1er S, et je me disais à quoi ca va me servir ? Ingénieur, je pensais que c’était pour les garçons, médecine c’est inenvisageable vu qu’une simple prise de sang me fait tomber dans les pommes.

 

J’ai comme même fait section S en 1er. J’avais, dans le cadre de la section européenne anglais, 2h en plus de maths en anglais par semaine. Mais les maths en anglais ne faisaient apprendre que très peu de vocabulaire et le prof n’était pas impliqué, je sentais mon niveau régresser en langue alors j’ai voulu changer de section. Bref, à la fin de la 1ère, en additionnant une rencontre opportune, j’ai vite switché pour aller en terminal ES (économique et social).

 

Cette initiative est venue de moi toute seule, or elle aurait dû venir (je pense) de la conseillère d’orientation ou de mes profs, qui sont censés être là pour nous aider et nous guider. De façon générale, la conseillère d’orientation n’a pas aidé beaucoup de lycéens à mettre du sens dans leur parcours. C’est d’ailleurs assez paradoxal parce qu’à chaque rentrée scolaire dans les classes du lycée, le directeur nous disait qu’il ne fallait pas se préoccuper de notre BAC mais plutôt de l’après bac…

Ainsi j’ai des amis qui ont perdu une, voire plusieurs années, après le bac parce qu’ils ne savaient pas s’orienter et que personne n’était là pour les aider. Par exemple une amie qui a fait un bac L se retrouve maintenant dans une école d’infirmière, après avoir tenté un an en droit et un an à préparer des concours pour des écoles de journalisme. Des amis ont arrêté la prépa au bout d’un trimestre parce qu’ils ne s’attendaient pas à un tel rythme et ont été obligés d’attendre la prochaine rentrée en septembre pour se réinscrire à la fac.

 

Je me suis donc retrouvée en terminal ES (dans le même lycée). Et je m’y suis beaucoup plu, c’était cohérent  on recevait des documents riches et tout était lié, même les maths étaient amusants. Et comme je n’arrivais pas a me décider sur l’après bac, on m’a parlé de classe prépa, on me les as présentées comme une continuité du lycée, cela me permettait d’avoir 2 années supplémentaires pour réfléchir à mon parcours professionnel. Je suis donc allée dans une classe préparatoire privée (catholique) pendant 2 ans dans le 16ème et ce fut un épisode assez particulier…

Dès le début, des détails m’ont choquée: par exemple pour les 6ème si ils oubliaient une affaire le soir ils avaient droit à une heure de colle le lendemain. C’était strict au niveau vestimentaire (tu viens en tee-shirt, tu repars chez toi), messe obligatoire. Nous, même en prépa, on lisait la bible en cours “formation humaine et spirituelle”. Si on séchait, on était privé de cours de maths (et c’était la pire des punitions, déjà qu’on ne comprenait pas grand-chose en assistant à tous les cours).

Tous les profs étaient très vieux, et il y avait un fossé entre profs et élèves. Une fois un élève a enregistré des cours pour mieux comprendre, le prof s’en est aperçu à cause d’un problème technique de l’appareil et l’élève a été contraint d’effacer tous ses enregistrements. Comme si il y avait une compétition ente élèves et profs, comme si les profs avaient peur de donner leur savoir !! C’était bizarre, on ne faisait que taper sur nos ordi ou recopier des tableaux, on ne comprenait rien en cours, et après on devait tout revoir à la maison, ce qui était frustrant et légèrement désespérant parfois. Le seul moyen de s’en sortir c’était de travailler avec les autres. On ne trouvait même pas le temps de lire des bouquins pour s’aider à mieux assimiler le cours des profs. Tout était tellement difficile pour rien et chronophage, je crois qu’on devenait débile. Un an après  je ne me souviens de rien des cours de prépa!! On apprenait par cœur ou on bachotait mais on ne retenait rien de très profond.

L’histoire économique qu’on nous enseignait était remplie de détails, on avait souvent du mal à voir ce qui était important à retenir. Autre exemple, en langue, l’épreuve du concours c’est une traduction et un essai de 200 mots. Or 200 mots est trop court pour juger du niveau de langue d’un élève et je trouve que ce n’était pas apprendre une langue que de connaitre des mots techniques comme moissonneuse-batteuse et de ne pas savoir le vocabulaire courant !! Car il nous était demandé de traduire des mots très spécifiques. Ca m’a aussi dégoûté de l’apprentissage des langues alors que j’aimais beaucoup ça. En espagnol il fallait connaître l’histoire de tous les pays d’amérique latine !!  J’ai eu 5 de moyenne pendant 2 ans, bon la moyenne de l’école c’était 6. La moitié de la classe était souvent à zéro en langue. En traduction on avait même la vraie note, genre -40 (moins 40).

 

Bizarrement  nous n’étions qu’un quart de la promo à se sentir aussi mal. Je ne suis pas partie de ce cursus car je ne voulais pas gâcher une année et j’en avais tellement bavé en première année, je ne voulais pas que tout cela ne me serve à rien. Plein de gens je crois aiment bachoter, ils déclarent même vouloir cuber (redoubler 1 ou 2 ans) pour intégrer une top école. Ils bossent donc en 1er année de prépa avec la vision de rater et donc avec l’organisation qui va avec. Je trouve ça étrange, tout comme le fait que plein d’élèves semblent aimer qu’on leur dise qu’ils sont nuls, ça semblait les booster. J’avais donc de très mauvaises notes, et je ne progressais pas (du moins au niveau des notes), mais quand je relisais, avec du recul, mes textes je les trouvais bons. Et quand je demandais des explications aux profs, ils n’avaient jamais le temps ou avaient d’autres excuses pour ne pas entrer dans une discussion.

J’étais donc mal classée en prépa mais j’ai fait ce qui s’appelle un “hold-up” : j’ai eu l’Essec, soit la 2ème école, du premier coup. J’ai été très surprise. Entrée en école de commerce, je m’attendais à vivre un changement de mentalité, de rythme et de contenu de cours, par rapport à la prépa. On nous avait bien vendu cette école lors des journées de présentation. Pour info, l’Essec c’est un budget de 10.000 euros par an pendant 5 ans  (les 5 années c’est une autre arnaque). L’image qu’on nous avait donnée, c’était la mise en avant de pléthore de possibilités, de la flexibilité, une diversité de cours.

Donc je m’attendais a ce que ce soit vraiment bien. Une fois arrivée  à l’Essec, déjà c’est Cergy, le RER A , celui qui marche le moins bien. Paris-Cergy c’est plutôt 2h30 que 1h30. Cergy c’est mort, voire dangereux. Régulièrement, des filles (ou des garçons) se faisaient arracher leurs sacs devant l’Essec, de nuit comme en plein jour.

Et les cours ne sont pas pratiques dans le sens opérationnel, je ne m’attendais plus à avoir des matières scolaires (macro, micro, stat), et en fait on a refait nos cours de prépa !! rien qui soit concret ou qui nous permettent d’imaginer le futur, notre futur. Beaucoup de cours, pas de temps pour les associations, les profs demandent beaucoup de travail et à l’arrivée on a peu de temps pour les à-côtés. Les cours de langue sont désastreux, je crois que le but c’est de ne rien nous apprendre !! C’était encore plus ultra scolaire que la prépa. Imaginez des pages de poèmes à apprendre par Coeur, à devoir réciter d’une semaine sur l’autre au risque d’avoir un zéro. Car tout est noté. Pourtant on a jamais vu nos notes. On a juste une moyenne à la toute fin de l’année et c’est tout. D’ailleurs, plusieurs élèves ne comprenaient absolument pas cette moyenne.

Souvent on a signé des pétitions pour essayer de faire changer les choses mais l’administration semble être immunisée à tout changement. Nos revendications sont les suivantes : moins de cours, moins de travail, moins de notes, plus de transparence dans la notation, des cours qui servent, des cours concrets.

 

Mais le pire c’est pour les littéraires. C’est bien joli de dire “nous on accepte tout le monde quelle que soit votre section” mais rien n’est fait pour eux : toutes les matières quasiment sont matheuses. Alors ils suivaient des cours particuliers de maths, ils amassaient de rares points lors des partiels, allaient au rattrapage, travaillaient beaucoup (presque comme en prépa), allaient se plaindre à l’administration qui leur répondait que “oui ca va être dur mais avec le travail, vous allez finir par y arriver”. A 10 000 euros l’année, on aurait pu s’attendre à plus de compassion.

Autre chose, en avançant dans l’année, on nous apprend qu’il faut avoir 600 au GMAT, et donc une centaine d’heures de travail préparatoire. Pour avoir ce score, il y a des élèves qui doivent repasser l’exam 4 ou 5 fois, et c’est 400 euros à chaque inscription. Et c’est une condition de 1er année pour valider le bachelor, sinon on peut être viré !!

 

Un autre souci à l’Essec ce sont les échanges universitaires. En principe toutes les écoles de commerce ont des centaines de partenaires, et pour avoir le diplôme il faut valider un certain nombre de mois à l’étranger. Les partenaires de l’Essec sont si peu nombreux, que peu de gens peuvent partir. En plus ils demandent une moyenne très haute (16-17) et un score au « gmat » supérieur a 650. On doit donc se débrouiller seul pour trouver des stages à l’étranger.

 

D’autre part, je pensais pouvoir reprendre les activités « extra-scolaires » qui me plaisaient et que j’avais dû interrompre avec la prépa, mais là aussi j’ai été assez déçue (comme beaucoup d’ailleurs). En effet, il y a une sélection à l’entrée et les critères d’admission sont on ne peut plus subjectifs et n’ont pas grand chose à voir avec l’objet d’une association. Par exemple, ceux qui sont dans le cinéma n’aiment pas particulièrement le cinéma, c’est juste parce qu’ils se connaissent et qu’ils veulent rester entre eux, comme une sorte de secte. Bref c’est pas très sympathique de ne pas pouvoir aller dans une association qui traite d’un sujet que l’on aime. De façon générale, c’est un peu à l’image du fonctionnement de l’école.

 

Pour conclure, je peux rajouter, ce qui n’est pas un détail, que je me suis rendue compte en cours de route, à quel point il était difficile de quitter le navire et abandonner. En effet partir c’est sans équivalence ni diplôme. On est vraiment prisonnier d’aller au bout du système.