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Christine Marsan / Psycho-sociologue | Le 12/01 à 08:57, LesEchos.fr
Notre société interconnectée a notamment accru de manière exponentielle les informations et connaissances, ce qui rend désormais impossible à qui que ce soit d’appréhender la totalité des informations sur un domaine aussi limité soit-il. La vitesse de diffusion des informations accélère les échanges et crée une pression psychologique très importante pour les personnes, notamment en activité, qui ne parviennent plus à traiter toutes les données reçues, ceci accroissant alors le stress au quotidien.
Par ailleurs, notre société vit un moment majeur dans notre histoire. Nous sommes contemporains de ce que l’on appelle un changement de paradigme, que nous considérons comme aussi radical que la Renaissance. Internet est une rupture technologique équivalente à ce que fut l’imprimerie au XVe siècle, révolutionnant l’accès à la connaissance, au savoir, à l’alphabétisation et par conséquent à la conscience. Nous notons aujourd’hui des effets tout à fait équivalents.
Les “progrès” technologiques et les innovations bouleversent notre quotidien, modifient nos valeurs (éthique et innovations), nos comportements (génération numérique) et conduisent la majorité à se retrouver coincée entre différents paradoxes. Un rythme de travail accéléré et une aspiration à la lenteur, des contraintes professionnelles toujours plus accrues pour raisons de performance et de compétitivité, augmentant stress et mal-être, et du coup une explosion du besoin de bien-être et de bonheur au travail comme dans la vie privée.
Internet nous conduit à surfer et les réseaux sociaux rendant les informations obsolètes en quelques secondes, nous zappons et nous ne savons plus fouiller, chercher, analyser, documenter les connaissances et les informations, car cela prend trop de temps ! Nous vivons dans une opulence générale jamais égalée, une minorité de la population mondiale est devenue ultra riche, laissant une majorité en augmentation constante de personnes s’appauvrissant et les classes moyennes occidentales s’amenuisent économiquement, tandis qu’elles apparaissent et s’enrichissent dans les pays émergents.
La majorité de nos repères et des composantes de notre réalité sont soumis à la schize : inflation des informations et abêtissements des foules, rapidité technologique et besoin psychologique de ralentir, opulence de biens de consommation et augmentation de la pauvreté, surconsommation et surproduction de biens et de pollutions et raréfaction des ressources et des matières premières, crises à répétition et enrichissement des banques à l’origine des bulles et crashs financiers… Alors il n’est guère surprenant que les personnes se trouvent psychologiquement coupées en deux, entre un monde déclinant et qui pour le moment est toujours dominant (modèle moderne et libéral dérégulé), et un monde émergent d’alternative en tous genres.
Le monde du free avec le wiki, conduisant au partage gratuit des connaissances, le développement des monnaies alternatives, comme moyen de compenser la crise, développant à nouveau solidarités et coopérations dans un monde individualiste, émergences d’initiatives politiques hors establishments, imprimante 3D révolutionnant l’industrie classique. Dans tous les domaines, les innovations sociétales surgissent, modifient nos représentations de la réalité, nos comportements et nous conduisent très souvent à faire le grand écart entre convictions et évolutions, habitudes et exigence de changement permanent.
Ce qui crée une pression psychologique très forte sur les individus qui n’est pas toujours facile à assumer. Ce qui conduit alors à tout type de crises psychologiques, du déclenchement parfois de réelles schizophrénies, aux symptômes borderline, à des replis, des dépressions, des burn-out invitant les personnes à revisiter leurs repères et à décider, pour beaucoup à sortir du système. Mais est-ce la solution ? Si tous ceux qui prennent conscience des paradoxes d’une situation en sortent alors qui reste-t-il à l’intérieur ? Et qui peut faciliter le délicat passage d’un monde à un autre ?
Gageons qu’à la suite d’une étape sociale de schizophrénie, propre à un moment de recomposition de notre société, nous sachions aussi bien individuellement que collectivement retrouver les voies de l’unité. Ce qui semble s’observer avec le développement massif des méthodes de mindfullness (techniques permettant de développer sa présence dans l’instant, plutôt que les regrets du passé ou le futur rêvé) dans tous les domaines de la vie, personnel et professionnel. La présence à l’instant semble être la ressource pour à la fois retrouver l’unité, faire émerger de nouvelles options sociétales, notamment avec l’Intelligence coopérative et permettre de coconstruire un futur durable pour tous les règnes du vivant.
CONSEQUENCES EN TERMES DE MODELE PEDAGOGIQUE . J’inviterai les adolescents à :
- apprendre à développer l’esprit critique (quelque part les leçons de l’esprit talmudique : questionner, ne pas prendre les choses comme acquises, comprendre à quelle logique systémique cela correspond..),
- chercher à devenir des Hommes et des Femmes Debout = des êtres libres, sachant opérer un tri sélectif des acquis transmis par toutes les traditions ( spirituelles et autres) pour parvenir à se forger une identité singulière, construite en conscience et dont ils pourront être fiers,
- observer les paradoxes et chercher à trouver une voie tierce (non partisane), exemple dans l’article : vitesse des informations partagées surcharge et besoin de lenteur… notre futur se situe au carrefour réussi des extrêmes qui se repoussent
- développer le niveau de conscience de chacun pour devenir un adulte respecteux de tous les règnes du vivant.. alors à l’écoute de l’école du vivant (qui a su être pérenne depuis presque 4 milliards d’années sur Terre) nous aurons des clés de solutions (type biomimétisme) et sagesse dans nos choix et décisions..
“La valeur n’attend pas le nombre des années” dit l’adage, la question qui reste ouverte est celle des critères de cette valeur… Elle est à co-définir, à co-construire et co-développer…